Lorsque, après avoir été retenu comme candidat extérieur à l’entrée en « 4ème A.M », j’avais pu obtenir une place en internat, fin octobre 1954, et que Maman avait cousu à la hâte mon numéro sur mes sous-vêtements, je devenais interne, pour la première fois de ma vie…
J’avais bien passé un mois en colonie de vacances, en 1947, sur les plages du débarquement encore truffées de munitions de la seconde guerre mondiale, mais je n’avais jamais quitté le cocon familial.
Aussi, le premier soir où, après être resté en études, j‘avais diné au réfectoire, puis étais monté au dortoir des 4ème , un sentiment d’angoisse m’avait saisi.
A cette époque, les dortoirs étaient impressionnants, avec ces lits alignés, et la boquette du surveillant, entourée de draps blancs qui révélait, en ombre chinoise, les gestes de Mr Cipriani, étudiant en Sorbonne qui gagnait sa vie en nous encadrant, le soir.
L’ombre était chinoise, mais mon premier voisin, lui, était Vietnamien : Nguyen Van Luong était de Dalat, et il me racontait la jungle, les tigres, sa vespa, tout un monde qu’il avait laissé très loin derrière lui, et qui allait connaitre des années d’enfer. La guerre d’Indochine faisait rage, mais aucun des nombreux vietnamiens internes n’en parlait jamais, même pas Vo Van Diem, fils du Président de Saïgon, qui avait six costumes taillés sur mesure.
Le système de chauffage était basé sur un réseau de gros tuyaux en fonte qui courait en tête des lits, et qui drainait de la vapeur, depuis une chaufferie centrale. Ce qui fait que lorsque la température descendait en dessous de zéro, la vapeur condensait avant d’atteindre les dortoirs, et nous n’avions plus de chauffage. La toilette du matin se résumait alors à un peu d’eau glacée sur le visage, point final !. Les externes devaient nous trouver une étrange odeur…
Une fois par semaine, cependant, on descendait en pyjama jusqu’aux douches qui étaient dans la cour des ateliers…après avoir traversé une cour glacée.
On nouait des amitiés improbables dans ce creuset mondial, et, durant la récréation du soir, avant de monter au dortoir, les échanges allaient bon train.
Car en études, on ne devait pas broncher, Cipriani veillait, et distribuait les heures de colle, j’en sais quelque chose…Mais à ce régime, d’élève moyen dans mon cours complémentaire de banlieue, je passais rapidement dans le peloton de tête de ma classe. Je ne le quitterai plus jusqu’au concours des Arts, en 59.
Je remercierai toujours mes chers parents d’avoir eu la bonne idée de me placer en internat, car c’était la seule façon de faire travailler le garçon joueur que j’étais, qui, jusque là, profitait honteusement de leurs origines étrangères et modestes …pour ne rien faire !.
J’ai dit, dans l’Acte 1, que je n’avais plus quitté le peloton de tête de ma classe jusqu’en 1959… Pardon, j’ai menti… En effet, car à 17 ans, frustré par trois années d’internat, je voyais les externes et demi-pensionnaires sortir le soir, côtoyer les filles, aller au TNP, à l’Olympia ou au cinéma le jeudi, alors que l’obligation d’être de retour de sortie avant quatre heures nous l’interdisait… J’ai fait ma crise !
J’ai tellement assiégé mes chers parents de mille bonnes raisons de quitter l’internat qu’ils ont fini par céder.
En « math-technique », l’année d’après le premier bac, je devenais donc demi-pensionnaire.
Cette bêtise, car c’en est une, associée au fait que notre prof de maths, exactement l’opposé de Mr Hutan qui nous avait couvés depuis la troisième, ne s’occupait que de Michel Aubin, au dessus du lot, et qui intègrera Polytechnique, cette bêtise, donc, me fit partir en vrille, et, de chambre en chambre, jusqu’à me retrouver chez Richevillain, un rapatrié d’Algérie aisé qui demeurait dans le quinzième, avec qui je sortais beaucoup… Je ratais mon second bac en juin.
Parti en Pologne sur la trace de mes ancêtres sur ce piteux échec, je ne préparais même pas la cession de septembre, mais je passais quand même en classe de « PENIAM » pour préparer le concours des Arts et Métiers, que nous passions pour la seconde fois, la première était alors un entrainement… sauf pour Aubin qui avait réussi du premier coup, mais avait préféré aller à Louis le Grand pour préparer Polytechnique.
Mon trait de génie fut alors de dire, en septembre, à mes parents : « Papa, Maman, je retourne en internat préparer les Arts ». Ma crise était terminée…
Il parait que nous en faisons tous une, c’est naturel… Le tout est d’en sortir sans conséquences !
Mais je crois que les « crises » actuelles présentent de nombreuses similitudes avec la mienne, tant un « ado » de 1957 ressemble étrangement, sur les plans physiologique et psychique, à un « ado » de 2017. Non ?
Jean Claude KOWALSKI : Jean Bapt 1954-59